Armand Abplanalp | Rêveur attentif sur écrin de fumée

Sa main tourne dans l’air autour de sa cigarette. Armand Abplanalp dessine avec ses doigts longs tout un spectacle dans la fumée qu’ils rassemblent. Le ballet souple de son poignet, à la fois évasif et précis, commente le débit tranquille de sa voix posée. Parfois ses phrases s’effilochent dans une espèce de grommellement pensif en forme de points de suspension, comme pour s’excuser de passer par des mots pour exprimer une pensée qui préfère de loin l’évocation à l’explication. Son regard clair quitte régulièrement l’abri songeur de ses paupières plissées, d’un recoin du plafond ou d’une portion du sol, pour venir ponctuer les courbes de la voix et du poignet. Deux points d’exclamation derrière des verres fins qu’aucune monture ne limite.

Abplanalp est un marchand de sable, il rêve son texte à haute voix et emporte la salle dans sa balade lunaire. Il savoure son temps, comme pour bien se souvenir de son histoire, pour la rendre un peu plus proche à chaque hésitation. Il s’ouvre à l’instant à travers une préparation attentive de chaque détail. «Rien n’a été décidé arbitrairement, tout a été nécessi- té», tant dans les décors dont il fait la maquette (la peinture, qu’il pratique toujours, a été sa première vocation) que dans l’éclairage ou la mise en scène. Tout le monde peut ainsi se retrouver sur les planches lors de la première et le dialogue se nouer avec la musique inventive de ses compères Daniel Bourquin et Léon Francioli.

Si le jeu d’Abplanalp utilise les accents du songe, ce n’est que pour mieux remuer en douceur les idées reçues et poser sans avoir l’air d’y toucher des questions essentielles. Depuis qu’il s’est lancé avec Charles Apothéloz dans l’aventure des Faux-Nez, notre homme oeuvre en porte-parole du théâtre d’avant-garde et fait découvrir Beckett, Ionesco et Jean Tardieu à des Lausannois nourris de Théâtre Municipal. La vingtaine d’années qu’il passe à Paris voient se succéder les rôles et les mises en scène. Son retour à Lausanne coïncide avec son envie d’offrir sa propre lecture des pages de Ramuz, de montrer que leur profondeur dépasse de loin la vaudoiserie. Le texte superbe de Henry Miller qu’Abplanalp offre ces jours aux spectateurs de Vidy interroge la frontière entre l’être et le paraître. Ce grand homme de théâtre la dépose dans un écrin de fumée, et la parcourt d’un pas attentif, d’un mégot à l’autre. Un monde entier se donne par un hasard prémédité.

Pierre Fankhauser

«Le sourire au pied de l’échelle» de Henry Miller. Adaptation, mise en scène, décors et jeu: Armand Abplanalp. Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu’au 19 mars. Ma-je, sa 20 h 30, ve 19 h, di 18 h. Rens. (021) 619 45 45.

Biographie

1930 Naissance à Lausanne.

1947 Premier spectacle.

1953 Ouverture du Théâtre des Faux-Nez, spectacle Brassens à Paris.

1964 Mise en scène du premier spectacle de Vidy, départ pour Paris.

1985 Retour à Lausanne, «La grande guerre du Sondrebond» de Ramuz.

1993 «Le cirque» de Ramuz, Théâtre’Onze, Lausanne

2000 «Le sourire au pied de l’échelle».