Bergstamm dans 24 heures

Un très grand merci à Caroline Rieder pour son article fouillé qui présente Bergstamm de manière à la fois fine et nuancée dans 24 heures et dans la Tribune de Genève du 9 octobre 2019.

Chessex nous a quittés il y a dix ans aujourd’hui : on ne saura jamais ce qu’il aurait pensé de ce roman, mais mon petit doigt me dit qu’il se serait bien amusé à le lire… Pour le paraphraser une dernière fois : « tout est bien ! »

Vous pouvez retrouver l’original ici !

 « Ce n’est pas un livre pour ou contre Chessex, je l’ai plutôt écrit pour mieux me comprendre »

Pierre Fankhauser livre une oeuvre marquée par l’auteur disparu en 2009. Entretien.

Il y a dix ans jour pour jour, Jacques Chessex s’effondrait en pleine rencontre avec le public, à Yverdon, terrassé par une crise cardiaque. Un an auparavant, Pierre Fankhauser, qui a étudié au Gymnase de la Cité, à Lausanne, où le disparu a enseigné, amorçait un livre autour de la figure du Vaudois goncourisé. S’il n’a pas été son professeur, Jacques Chessex a marqué ses années d’études, à titre personnel mais aussi dans son envie de devenir écrivain.

Voici donc « Bergstamm », qui vient de paraître chez BSN Press, un roman à clés et à tiroirs commencé à Buenos Aires, où l’auteur a vécu 7 ans. traducteur, enseignant à l’Institut littéraire suisse à Bienne et animateur des rencontres Tulalu!?, a mûri son texte durant onze ans. Jacques Chessex n’y est mentionné nulle part, mais la citation reprise en quatrième de couverture se veut explicite : « Le Maître, que la plupart des gymnasiens nommaient malicieusement “Dieu” depuis qu’il avait été couronné par le Prix Goncourt, écrivait dans le café qui proposait, disait-on, les meilleures fondues du canton. » Pierre Fankhauser assume : « Je trouvais important qu’il ne soit mais qu’il soit reconnaissable. » Ce « Maître », objet de l’admiration du héros Walter Bergstamm, se rêvant écrivain lui aussi, s’avère séducteur, manipulateur, torturé. Et le héros de rapporter, entre autres, la rumeur estudiantine sur les livres que l’enseignant dédicaçait à ses belles élèves comme prélude à une intimité plus charnelle.

Parmi ses conquêtes figure Caudélia. La jeune femme deviendra ensuite la petite amie de Bergstamm. Complexe, la construction du roman intercale dans le récit de cette passion lycéenne hantée par l’ombre de « Dieu » les apparitions d’un dénommé Marc Barrault, qui a été l’élève de Walter Bergstamm devenu lui-même écrivain, professeur et lui aussi récipiendaire du Goncourt. « En prenant trois générations : “Dieu”, Walter Bergstamm et Marc Barrault, j’ai voulu montrer que les mêmes problèmes se posent sur la question de la légitimité, du besoin de faire sa place, avec un rapport de plus en plus apaisé à l’écriture. C’est aussi d’une certaine manière les étapes que j’ai traversées », détaille Pierre Fankhauser. Il ne cache pas que le Walter Bergstamm des jeunes années est son alter ego : « Ce que je raconte dans cette partie-là du livre, je l’ai vécu. »

Le Bergstamm de la maturité par contre emprunte des traits à Jacques Chessex. Car l’écrivain est partout dans ce roman, dont les fils narratifs se croisent et se répondent pour mieux perdre le lecteur entre fiction et réalité. L’écriture même de l’habitant de Ropraz imprègne le livre, puisque l’auteur a repris et retravaillé des textes de Jacques Chessex. L’idylle entre Bergstamm et Caudélia s’inspire ainsi de « L’Ogre », adoptant ici le point de vue de l’étudiant au lieu de celui du professeur Jean Calmet.

« J’ai voulu le comprendre »

« En reprenant ses textes, j’ai voulu comprendre son point de vue. Ce n’est pas un livre pour ou contre Chessex, c’est un portrait en ombre et lumière, une possibilité de l’apprivoiser avec ses côtés généreux, charmeurs, drôles, mais aussi bien moins reluisants. Chessex défendait la posture de l’écrivain et cela faisait rêver. Mais d’un autre côté, en voulant prendre sa place, il en a pris trop. J’ai voulu l’apprivoiser aussi pour mieux me comprendre, ainsi que mes questionnements par rapport à l’écriture. »

Pierre Fankhauser adopte ici un style très différent de son premier roman, un « Sirius » très formaliste évoquant du Temple solaire. Lorsque le jeune Bergstamm raconte, les phrases s’allongent, l’emphase est au rendez-vous : « Je me suis amusé à accentuer ce style un peu XIXe siècle, presque stendhalien, parce que je me suis rendu compte que la partie sur les jeunes années du héros demandait à être racontée comme ça. » Au final, le jeu de réécriture empêche évidemment de démêler le vrai du faux. Si l’on ne connaît pas l’œuvre de Chessex, on lira donc « Bergstamm » comme un roman d’apprentissage sur les rapports amoureux, sur la vie comme source d’inspiration à l’écriture, mais aussi un questionnement sur l’ambition de l’écrivain. Le tout, en ménageant un certain suspense. Et, sans dévoiler la fin, on dira tout de même que Pierre Fankhauser y livre malicieusement quelques clés. Ou pas…

Caroline Rieder

« Bergstamm » Pierre Fankhauser Éd. BSN Press, 206 p.

Les commémorations à venir

Le Centre culturel des Terreaux, à Lausanne, ouvre son festival dédié à Jacques Chessex (une pièce et un film) mercredi, date anniversaire marquant le 10e anniversaire de la disparition de l’écrivain. Payerne et Ropraz, lieux, respectivement, de naissance et de résidence du Vaudois, ont reporté les commémorations. Dans la première commune, on a toutefois prévu un article spécifique avec un mot de la Municipalité, qui paraîtra en novembre dans la prochaine édition du journal d’information communal. À Ropraz, le programme était plus ambitieux, avec l’inauguration d’une balade au nom de l’écrivain et d’un banc commémoratif. Tout a été repoussé au début de l’année prochaine, car le restaurant cher à Jacques Chessex, dans lequel devait se dérouler la partie officielle, est en cours de rénovation. S.MR