De l’Arsenic dans les Urbaines

Le festival des Urbaines présente les 3 et 4 décembre un programme de créations contemporaines allant de la danse à l’architecture.

Pour la quatrième année consécutive, les Urbaines vont déferler sur la scène artistique contemporaine lausannoise. L’édition ’98 avait réservé aux curieux chanceux (et vice versa) quelques surprises qu’ils ne sont pas près d’oublier (avec, entre autres, deux spectacles du chorégraphe berlinois Felix Ruckert). Ce festival a pour lui tous les atouts: il est gratuit, il est de qualité mais surtout il ose l’originalité (souvent) intelligente. Danse, théâtre, musique, arts plastiques et cinéma seront représentés: l’édition ’99 s’annonce prometteuse. Les Urbaines se dérouleront dans des lieux culturels qui fonctionnent toute l’année (lire encadré page 107), la sélection des spectacles qui le composent étant réalisée par les programmateurs de chaque salle.

Le théâtre de l’Arsenic, laboratoire de la création scénique contemporaine en Suisse romande, est l’une des pierres angulaires du festival. Thierry Spicher, son directeur actuel, nous donne sa vision des Urbaines.

Dans quelle mesure la programmation de l’Arsenic durant le festival des Urbaines est-elle exemplaire de ce qui s’y passe pendant le reste de la saison?

L’Arsenic est là d’abord pour développer qualitativement la création scénique régionale contemporaine. On essaie de remplir cette mission de deux façons: avec une politique de coproduction et de production et avec une politique d’accueil. Notre travail consiste à être plus sérieux qu’un phénomène de mode et à vraiment tenter de chercher de nouvelles formes narratives, contemporaines, qui arrivent à intégrer une esthétique et beaucoup plus: une vision du monde qui se raconte des histoires d’une façon différente, mais qui se les raconte vraiment.

Est-ce qu’on trouve ce renouveau des formes narratives dans le théâtre actuel?

Non. En théâtre, je ne vois pas poindre ça. Je pense qu’une des clés pour qu’il ne meure pas de sa tradition mais puisse aussi en vivre, c’est de, un peu artificiellement actuellement, le «booster» pour qu’il soit contaminé par d’autres arts. Même si c’est dangereux et si ça risque de faire des collages dans un premier temps. Je crois que la contemporanéité a des règles à trouver, ce n’est pas seulement une question de dates sur l’agenda, c’est une question beaucoup plus complexe au niveau esthétique, politique et artistique. Art contemporain ne veut absolument pas dire élitiste ou incompréhensible, au contraire.

Dans cette optique, à quoi servent les Urbaines?

On fait de la création contemporaine, jeune, non pas tant du fait de l’âge des créateurs que de l’âge du créneau, du courant (s’il en existe un) dans lequel ils s’inscrivent; et urbaine parce qu’on travaille dans une ville. C’est une convergence d’arts qui fait un courant et les Urbaines servent à imposer ce mélange. Elles servent, doivent nous servir, à faire oeuvrer côte à côte (voire ensemble) des gens qui travaillent dans la musique, la chorégraphie, le théâtre, la performance et dans les arts plastiques. Durant le festival, on peut se permettre d’avoir des gens qui viennent de plus loin, des leaders dans leur secteur, mais qui n’ont pas de notoriété. Pourquoi peu connus? Parce qu’on n’aurait pas les moyens de les payer et que ça ne rentrerait pas dans cette logique de développer ce qui est de la création au sens fort du terme. A savoir une tentative de défrichage de nouveaux espaces mentaux, de nouveaux espaces poétiques.

A quoi les spectateurs doivent-ils s’attendre?

A tout! On veut leur dire: «Ecoutez, vous ne payez pas, on fait notre boulot sérieusement, l’exigence est ailleurs. On s’engage à deux choses: ça va être de qualité, vous n’allez pas vous déplacer pour rien, mais n’attendez rien. Parce que plus vous venez avec des attentes précises, plus vous risquez de vous tromper d’attentes.» C’est redire un peu aux spectateurs ce qu’on dit à travers notre cahier critique (lire encadré page 105): réapprenons à nous positionner et à vivre des choses par rapport à ce qui se passe hic et nunc et pas par rapport à ce qu’on aimerait qui se passe. C’est bien d’avoir des attentes, mais la «méta-attente», en quelque sorte, c’est de peser sur la poignée, d’ouvrir la porte et de dire: «J’espère que ça sera bien mais je n’arrive même pas à imaginer ce que ça peut être.»

Et vous? Qu’attendez-vous du public?

On s’est échiné à programmer de telle façon qu’on ne puisse pas tout voir. Histoire de dire aux gens: «Il faut choisir. Et puis, choisissez le coeur léger! Qu’est-ce que vous risquez? Perdre une heure de votre vie… Vous ne perdez pas d’argent.» C’est aussi pour ça qu’on communique lacunairement. Parce que l’idée c’est: laissez-vous guider par vos intuitions, par un nom, par une envie, par un on-dit. On demande beaucoup au public: on lui demande de choisir intuitivement. En quelque sorte, on lui demande d’avoir une démarche d’artiste.

Propos recueillis par Pierre Fankhauser

Thierry spicher

Directeur explosif au franc-parler légendaire.

Parole critique venue d’ailleurs

Durant la saison 1998-99, l’Arsenic a invité des universitaires et des dramaturges (de France, d’Allemagne et de Zurich) à chacune de ses coproductions. Ces derniers avaient pour mission de rédiger un texte (sans aucune contrainte de format) au sujet du spectacle qu’ils avaient vu et dont ils ne connaissaient pas le contexte théâtral. Ce qui devait être au départ une plaquette a pris la forme d’un livre. «De l’Arsenic» est un ravissant petit bréviaire jaune. Il est illustré de photos des représentations qui dépassent largement le côté décoratif: elles entrent en dialogue avec les textes, les complètent. Ce recueil orchestré par Rita Freda, «détachée culturelle» de l’Arsenic, a été remis à tous ceux qui avaient gravité de près ou de loin autour des spectacles en question. Malgré un niveau des textes assez inégal (tout le monde n’a pas vraiment joué le jeu), cette tentative de repenser la critique au sein de notre petit milieu théâtral local – personne n’a vraiment l’habitude de s’y causer – méritait d’être applaudie des deux mains!

«Depuis que Thierry Spicher est à la tête de l’Arsenic, l’une de ses préoccupations a été de forger une identité au théâtre»: explique Rita Freda. Dans cette optique, une volonté est née de penser le rapport qualitatif au public, d’essayer de mettre sur pied des espaces de rencontre entre les artistes et les spectateurs. «Nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas de parole critique, pour nous, qui circulait dans le milieu romand. Pas de parole critique entre les gens d’ici, entre les praticiens, entre spectateurs et praticiens, voire entre journalistes et praticiens. Nous avons donc essayé de redonner un écho public à une parole critique qui ne soit pas de l’ordre du confidentiel, qui soit libre de toute contingence. Ce qui nous importait aussi, c’était de faire découvrir une parole autre que journalistique, une parole venue d’ailleurs, pour casser tout un réseau de consanguinité, de considérer le critique comme partenaire de la création théâtrale.»

L’idée est de laisser une trace, écrite, sur la création régionale, la création romande, de permettre la constitution d’une mémoire du théâtre qui ne soit plus la mémoire d’un écrit, d’un texte théâtral, mais qui soit la mémoire d’une représentation scénique. Pour Rita Freda, il s’agit «d’instaurer un dialogue entre des spectateurs singuliers et le spectateur que nous avons pu être, ou le praticien que certaines personnes ont pu être».

P. F.

«De l’Arsenic» textes réunis et présentés par Rita Freda, 94 p. En vente au Théâtre de l’Arsenic.

Do it yourself

Pour rester dans la logique de la manifestation, voici quelques infos pour vous faire votre propre bouquet de créations. Il est tout d’abord chaudement recommandé de faire un tour sur le site des Urbaines (www.urbaines.ch): il est complet et vaut vraiment le coup d’oeil. Vous pouvez aussi vous procurer un programme dans chacun des lieux du festival, grappiller les tuyaux en téléphonant selon vos envies, ou alors, vous laisser guider par vos pas et vos rencontres…

ARTS PLASTIQUES: Circuit (021) 601 18 49, Espace 16/25 (021) 320 20 21 et Espace Flon (021) 312 39 21.

CINÉMA: Cinémathèque suisse

(021) 331 01 02.

DANSE: Sévelin 36 (021) 626 38 12.

MUSIQUE: EJMA (021) 320 93 25, Loft Electroclub (021) 311 64 00

et 2.21 (021) 311 65 40.

THÉÂTRE: Arsenic (021) 625 11 22.