Exister en peu de mots

Scène profonde, fumée, lumière froide, verticale. Des acteurs entrent, marchent, se regardent; ils semblent être témoins de leur propre représentation, quitte à tourner la tête au craquement d’un projecteur. Long silence. Les limites entre les espaces sont mises entre parenthèses: les gradins sont colonisés par les regards, par les corps des comédiens, le théâtre mis à nu est utilisé en tant que simple édifice, ses coulisses donnent directement sur le monde.

Avec «A corps et à cru», Geneviève Guhl a choisi de mettre en scène les paroles brutes du poète valaisan Christian Emery. Pas d’histoire, seulement celle qu’on voudra bien y mettre. Nous ne sommes ni tenus par la main, ni laissés seuls face à nous-mêmes: un certain horizon nous est proposé. Liberté de nous y diriger à notre guise, liberté de baliser un chemin original de notre propre vécu. La narration se disperse sous la poussée des impressions acérées: bribes de vie concentrées par la poésie d’Emery, abrupte et ramassée. Peu de paroles pour dire l’amour, la peur, la solitude, pour dire l’envers de notre quotidien saturé de discours. Une interprétation sensible aux différentes qualités de silence, au langage du corps qui parle au corps, vient parachever ce spectacle lancé à l’estomac. Exister, c’est aussi parfois savoir se passer des mots.

Pierre Fankhauser

Genève, Théâtre du Grütli, jusqu’au 28 mars. Du jeudi au samedi à 20h, dimanche à 17h. Rens. (022) 328 98 78.