Lecteur, ô mon lecteur

À chacun son horaire, sa plage de disponibilité. De telle à telle heure, l’auteur sera là, juste là, de l’autre côté de ses piles de livres pour répondre à vos questions, à votre petit signe de la main, à votre salutation, disponible pour signer votre exemplaire en point d’orgue d’une dédicace qu’il rédige avec plus ou moins d’aplomb. Chez lui, en effet, souvent un léger flottement et pas toujours pour chercher ce qu’il voudrait vous écrire: tout d’un coup cette écriture à nu, intime, qui n’est plus soutenue, plus rassurée par tout le travail éditorial et ses nombreuses relectures.

Certains cherchent les lecteurs du regard et vous font au quart de tour un sourire avenant, prometteur et cordial, alors que d’autres ont le nez plongé dans leur iPhone, lisent le livre offert par leur voisin de table, se mettent à causer avec ledit voisin, à rigoler, à se marrer même assez franchement, à débattre au sujet des qualités littéraires respectives de tel auteur pris au milieu d’une effervescence de fans survoltés ou de tel autre, assis, stoïque, au bout d’une interminable file bien ordonnée de lecteurs éduqués et patients.

L’œil sombre et le sourcil froncé, l’un des auteurs, c’est le moins qu’on puisse dire, est contrarié: professionnel scrupuleux, il a rempli son formulaire en indiquant la moindre de ses disponibilités tout au long du weekend. Notre homme, qui est un homme de parole, refuse de faire mentir les horaires affichés sous la tente: enchaîné par son serment à sa longue table noyée sous les livres, il a mal au dos assis, mal au dos debout et il se lamente.

Cher lecteur, c’est pour toi que j’ai écrit ce livre, pour toi que, durant ces jours et ces nuits, j’ai déversé mes larmes, ma sueur et mon sang dans le miroir de mon écran! Je te saurais dès lors gré, ô mon ami, ô mon compagnon, de rendre honneur à ce sacrifice que je fais pour toi en restant là, devant ces exemplaires de mon œuvre dont l’un t’est personnellement destiné. Vois ce beau ciel dégagé! Ce soleil rayonnant! Ces vagues indolentes, caressées par l’air doux de cette fin d’été… Mon lecteur, c’est toi que j’attends! Suis le cours de ces allées de livres jusqu’à moi pour donner enfin ton corps et ton visage à cette rencontre qui n’a jamais cessé d’être, sois-en persuadé, à l’horizon de chacune de mes phrases!