Sirius sur le blog de Francis Richard

Merci à Francis Richard pour cette critique de Sirius sur son blog!

Sirius est l’étoile la plus brillante du ciel, la plus mythique.

C’est aussi le pseudo sous lequel Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, quotidien né en 1944 sur les reliefs du Temps, signait ses éditoriaux. Ce pseudo faisait référence à Micromégas, héros du conte éponyme de Voltaire, natif de cette belle étoile. Son point de vue de Sirius lui permettait de prendre du recul, de laisser libre cours à son esprit critique et de relativiser…

Sirius, c’est également la destination des Transits des adeptes de l’Ordre du Temple Solaire, qui ont pris la forme de morts collectives dans les années 1990, en Suisse, en France et au Canada.

Pierre Fankhauser s’est basé sur l’un de ces transits, celui du mois d’octobre 1995, dans le Vercors, pour bâtir son roman. Les corps de 16 adeptes de l’OTS y avaient été retrouvés carbonisés, portant la trace d’un ou de plusieurs coups de feu, ayant apparemment absorbé des sédatifs, le visage recouvert de sacs plastique bruns.

Les protagonistes sont, dans le roman de Pierre Fankhauser, le chorégraphe le plus en vue de la scène contemporaine et son élève et amante, laquelle de jeune danseuse est devenue, sous sa férule, chorégraphe à son tour. Seule comptera finalement pour eux leur Vie future, où ils ne se rendront pas seuls…

Ce n’est que petit à petit que le lecteur en prend conscience. Car le roman de Pierre Fankhauser est en effet construit d’éléments qui semblent au début n’avoir pas de liens entre eux, mais qui sont en fait les pièces d’un puzzle.

Il décrit des chorégraphies où les corps nus retrouvent les mouvements de reptation originels:

“Les danseurs se touchent, se palpent, s’escaladent mutuellement, semblent chercher des prises dans le plateau, se muent en grimpeurs de l’horizontale et font basculer les perspectives.”

Il fait tenir par d’aucuns des propos moralisateurs à leur sujet:

“Cette matérialité du corps, cette abolition des frontières entre arts plastiques et arts vivants prônées par certains adeptes des chapelles à la mode ne servent ici qu’à légitimer un flirt aguicheur avec la pornographie.”

Il rédige des rapports d’enquêtes médico-légales d’une grande précision technique sur les cadavres disposés en cercle sur le lieu du drame, une clairière isolée dans la montagne, entourée de mélèzes:

“Les pieds vers le centre du cercle, le corps de la quinzième fidèle, entièrement carbonisé sauf le visage, est allongé sur le dos entre le corps du quatorzième fidèle et le corps de son propre fils, une balle dans la tête, une dans le coeur, lambeaux de sac-poubelle sur le sommet du crâne etc.”

Il reproduit des circulaires émanant de L’équipe de l’association:

“Notre objectif principal est de faire respecter la recherche spirituelle dans toute sa diversité et de mettre un terme aux liens qui sont faits entre mouvements sipirituels et manipulation mentale.”

Il rapporte des discussions entre membres de ladite association:

“Une dépression et même des idées suicidaires peuvent survenir chez les patients atteints de cette maladie. Si vous éprouvez de tels sentiments, consultez immédiatement votre médecin. […] Je trouve extraordinaire de penser des choses comme ça, de se dire: La personne est dépressive, elle pense à se tuer, donc elle va demander de l’aide. Qu’est-ce qu’ils sont bien éduqués les patients, putain !”

Etc.

Certes, le lecteur connaît la fin de l’histoire, mais il ne la connaît pas dans son entier déroulement, dans ses tenants et aboutissants. Alors l’auteur lui fournit d’autres éléments, complémentaires et souvent contradictoires, parce que les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles n’apparaissent dans la vraie vie.

Ces autres éléments ? Une contre-enquête médico-légale, une plongée dans le monde de la protection rapprochée, un récit des cérémonies de l’Ordre, des lettres d’amour de celle qui danse à son maître, la description poétique du trajet qui, dans la montagne, conduit à la clairière funeste.

En lisant Sirius, le lecteur ne peut qu’être frappé par la variété des registres sur lesquels l’auteur joue et surtout par son souci du détail vrai et précis, précis aussi bien dans l’évocation des êtres et des choses que dans l’emploi des mots.

A un moment donné, Pierre Fankhauser fait parler en ces termes l’énigmatique Gardien des Archées:

“Sachons mourir pour renaître.
Sachons vivre pour bien mourir car: bien mourir c’est bien renaître.
Que celui qui a des oreilles entende.”

Si le contexte n’était pas aussi sinistre, ces mots pourraient se comprendre comme ceux d’une sagesse éternelle:

“Faites donc mourir en vous ce qui appartient à la terre. […]Plus de mensonge entre vous, car vous vous êtes dépouillés du vieil homme, avec ses pratiques, et vous avez revêtu l’homme nouveau, celui qui pour accéder à la connaissance ne cesse d’être renouvelé à l’image de son Créateur.”
(Epitre aux Colossiens, 3, 5-10)

Francis Richard

Sirius, Pierre Fankhauser, 136 pages, BSN Press