Veneno dans Le Temps

Merci à Lisbeth Koutchoumoff pour sa belle critique parue dans Le Temps!

Comme un arrière-goût de bière chaude

«Veneno», premier roman traduit en français de l’Argentin Ariel Bermani, a reçu le prix Emecé en 2006.

L’Argentine vue depuis la banlieue, depuis Burzaco, une ville à une trentaine de kilomètres de Buenos Aires. La dictature, la libéralisation économique, le boom des années 1990, le chaos du début des années 2000: Burzaco a encaissé, Burzaco n’a jamais cessé de stagner. Cet enlisement où s’échouent les rêves et les espoirs, c’est le sujet de Veneno, un roman qu’Ariel Bermani a écrit en 2004 et qui s’est vu décerner le prestigieux prix Emecé en 2006.

Le personnage principal s’appelle Enrique Domingo mais tout le monde l’appelle Veneno, venin en français. Veneno traîne, boit, couche, fait des enfants, s’enfuit. Boit. Quand le roman démarre, en 2003, Veneno vient de perdre sa mère. Il traîne d’autant plus. Ecluse des bières dans un bar où la pluie tambourine sur le toit et d’où il part sans payer. Prend un taxi qu’il ne payera pas non plus. Marche jusqu’à la gare pour s’allonger sur un banc. Fait l’idiot devant un chauffeur de bus qui le tabasse. Et puis surgit Stella, l’amour de ses quatorze ans. A partir de là, le roman va avancer par flash-back en 1978, 1988 et 1998. Tandis que le présent du récit tient sur à peine une journée.

Ariel Bermani a écrit dans la langue des quartiers, rapide, imagée, crue, fantasque. Et le talent du traducteur Pierre Frankhauser est d’avoir réussi à restituer ce tempo en français: la cavalcade et la musique espagnoles s’y retrouvent, sous des habits français parfaitement fluides.

Le talent d’Ariel Bermani, outre la construction par strates du livre, tient dans cette langue qui jaillit et ces personnages qui titubent, entre chômage, alcool et enfants qui pleurent. La vie de Veneno le vantard, l’assisté, le goujat de première se résume aux femmes qui l’ont aimé et supporté. Les flash-back sont des mini-portraits de femmes qui s’ancrent dans l’existence en mettant au monde des enfants et qui font face, seules, tant bien que mal. Et puis, il y a l’église, omniprésente et qui apparaît ici sous les traits bonhommes et attachants de prêtres amateurs de foot. Ariel Bermani aime ses personnages. Leur spleen devient le nôtre.

Ariel Bermani, «Veneno», traduit de l’espagnol par Pierre Fankhauser, BSN Press, 174 p. ***