Petites horreurs en chanson

«Le dernier “fait divers” du journal télévisé. Si divers qu’on ne s’en souvient déjà plus. C’est celui-là qui m’intéresse.» Inceste, viol, pédophilie et suicide: voici la matière première disséquée par Jean-Pierre Gos. Le langage de l’acteur, chanteur et parolier pour l’occasion, est acéré: situations décrites sans fioritures, aiguisées par le frottement des mots. Un vernis d’humour est pourtant passé le long de ces tableaux grinçants, il ne s’écaille jamais tout à fait: une certaine distance est maintenue, le cynisme omniprésent n’est jamais gratuit. Ça fait rire parce que ça fait mal et vice versa.

Les personnages des «Roses blanches contre-attaquent», en même temps grotesques, tragiques et attachants, servent de fil rouge entre les chansons. Il y a tout d’abord, au centre du mélodrame, une adolescente violée par son père obsédé sexuel le jour de l’enterrement de sa mère alcoolique. Ben Marlin sait nourrir ce rôle d’une fragilité mêlée de détermination: courage têtu devant l’acharnement de son existence. Son papa incestueux est incarné quant à lui par Pierre Perrotton. Pédophile d’opérette, dégoulinant à souhait, ce dernier déploie une lubricité tellement pitoyable qu’elle en fait presque mal. Le tout est rendu encore plus absurde par de petites séquences sorties tout droit du cinéma expressionniste allemand: mouvements hachés sur lit de piano désaccordé. De petites phrases explicatives, évoquant elles aussi le temps du muet, viennent parachever la dérision générale de leur banalité désespérante.

Jean-Pierre Gos a su s’entourer d’une équipe de choc! Outre les acteurs, il y a les décors formidables d’Igor Francesco et les musiciens, fines lames de l’improvisation. Arrangements et compositions sont on ne peut plus efficaces et la mise en place impeccable: on swingue d’un style musical à l’autre. Voici un spectacle de création sacrément bien envoyé: les petites horreurs quotidiennes peuvent aussi être dénoncées avec panache!

Pierre Fankhauser

Genève, Théâtre du Grütli, jusqu’au 24 janvier. Rens. (022) 328 98 78.