Certains avec des livres, d’autres sans

En attendant Bernadette le samedi matin devant la gare de Morges, pas très rassuré par ma toute première table ronde à animer une petite heure plus tard, je faisais pour m’occuper un peu l’esprit la chasse aux écrivains. Celle-là, tout à fait une tête d’écrivain! Ou alors une journaliste? Peut-être les deux à la fois, peut-être pas.

Un écrivain, finalement, à part dans le cas de celles et ceux qui ont leur photo dans les journaux presque chaque semaine, c’est quand même assez difficile à reconnaître. Un teint rendu blafard par les nuits et les jours passés devant l’impitoyable écran? Une démarche élastique, faite sur mesure pour arpenter le monde? Une qualité particulière dans le port de regard? L’avantage de cet essai de typologie hasardeux, c’est que ça me permettait de ne pas trop penser à ce qui m’attendait.

Un peu plus tard, Tatiana de Rosnay, Anne Cuneo et Stephen Clarke derrière moi et la respiration un peu plus libre, je suis allé faire un tour sous la grande tente au bord du lac. Là, j’ai fait l’exercice dans l’autre sens: en marchant le long des tables, en regardant les écrivains derrière leurs livres, je me suis demandé s’ils auraient retenu mon attention devant la gare. La plupart du temps, non, pas du tout.

D’abord, ça m’a rendu triste: être écrivain, décidément, ça ne se porte pas sur soi. La capacité de créer des mondes avec les mots ne rend pas les hommes et les femmes visiblement différents. Après, de visage en visage, ça s’est mis à se réchauffer dans mon cœur: un sentiment de communauté, doux et rassurant. Chacun fait du mieux qu’il peut avec sa vie, certains avec des livres, d’autres sans.