Le don des routes

Avec «Le dehors et le dedans», le Théâtre Spirale invite le monde de Nicolas Bouvier à nous parcourir.

«L’averse m’a rincé le coeur / elle l’a tordu comme une éponge / alors le seul fait d’être au monde / remplissait l’horizon jusqu’aux bords». Se laisser porter par les mots, tout poser là et partir vraiment, sans bien savoir où l’on va, entreprendre enfin ce voyage «qui vous fait et vous défait».

Le monde vient à nous, peuple peu à peu la petite salle: odeur du feu qui se prélasse dans l’âtre. Il y a les paroles qui serpentent, les regards qui se perdent et les yeux qui se ferment. Il y a la musique, celle des êtres, celle des rues, les paysages déposés le long des textes et contre les murs. Il y a les poèmes tendus sur des pages à taille humaine, véritables acteurs de papier.

Thomas Bouvier et Patrick Mohr ont pris le parti de la légèreté: leur spectacle semble fait pour les routes. Quelques objets, quelques instruments de musique, sont éparpillés sur la scène. On hésite un instant devant ce bricolage minimaliste, puis on se laisse entraîner par la voix de ces deux conteurs d’espace: comment donc faire revivre les routes autrement que par ce qu’on y récolte? Un regret néanmoins: malgré une certaine sobriété, le discours corporel mange parfois le texte. Un spectacle construit autour de la parole rend en effet le spectateur attentif à chaque geste; chaque mouvement fait alors signe et court par conséquent le risque d’encombrer l’évocation, de la diluer.

Des poèmes, tirés du seul recueil de poésie de Nicolas Bouvier «Le dehors et le dedans», servent d’armature au spectacle; ils sont mêlés à des extraits de «L’usage du monde», du «Journal d’Aran» et du «Hibou et la baleine». Le choix des textes ainsi que leur agencement sont fidèles au rythme de la langue du voyageur: lenteur fluide parsemée d’instants de concentration extrême sur un détail, un instant évocateur. Des routes ont été sillonnées pour nous ouvrir les yeux sur nos déambulations sédentaires.

Pierre Fankhauser

Cologny, Théâtre du Crève-Coeur, jusqu’au 6 décembre. Rens. (022) 786 93 60. A lire: «Le dehors et le dedans», Zoé, 102 p.