Sirius dans La Cause littéraire!

Merci à David Campisi pour son article au sujet de Sirius dans La Cause littéraire!

Sirius, Pierre Fankhauser

Sirius, Pierre Fankhauser

Quelques scènes d’ombre et de lumière où sévit l’artiste, nue, de muscles, d’os et de tendons ; des articles de presse accusateurs, scrutateurs ; une enquête de police et ses rapports ; une contre-enquête, ensuite, plus précise ; des lettres d’amour ; un massacre de feu et de sang dans une sombre forêt ; des courriels ; quelques cours adressés à des étudiants qui n’ont pas de visage.

Bienvenue sur Sirius.

C’est un patchwork éparpillé, d’abord, quelques pièces qu’il nous est impossible à rassembler ; quelques pages plus tard, un ordre commence à apparaître, puis une trame. L’on devine alors la direction que prend le récit : l’histoire très sombre d’un massacre perpétré au cœur de la montagne, dans une forêt reculée. Seize corps ont été découverts, calcinés par les flammes et déchiquetés par les balles d’un pistolet.

Les narrateurs sont multiples et sans voix. Les points de vue sont nombreux et le lecteur se laisse bercer par ces chapitres courts, percutants, au style littéraire absolument unique qui octroie au roman toute sa puissance ; une réelle cadence rythmée par cette ponctuation surprenante qui laisse le texte respirer, s’étouffer parfois. Une petite ritournelle ; Sirius, c’est un oiseau qui chante.

Seize corps retrouvés et une enquête policière résumée par ses rapports ; Sirius emprunte les codes du polar mais ne s’y résigne pas. On ressent l’investigation qui avance, patine, s’arrête ; la contre-enquête qui recherche plus loin. Les éléments se mettent en place. Le lecteur se laisse avoir ; on veut connaître la suite. Les articles de presse reprennent là où s’arrête le rapport de police. Le puzzle se construit au fil des pages. Quelques courriels aux destinataires anonymes viennent compléter nos ignorances.

Et puis la danse. Le théâtre contemporain ; l’art moderne, aussi, critiqués dans leurs excès. Les spectateurs qui prennent place dans le noir regardent l’artiste nue se mouvoir sur scène, ou pire ; ne pas s’y mouvoir du tout. Se laisser baigner de vapeur bleu froid. On ne sait pas qui pose les questions ; elles sont toutefois pertinentes. Pourquoi une telle sexualisation du corps dans les œuvres d’art moderne ? Quel chemin prend la danseuse qui ne danse plus vraiment ? Quel intérêt de mimer l’intime ?

Tous ces éléments n’ont aucun rapport. En réalité, ils se conjuguent au temps de Sirius. La mosaïque se dessine sans l’aide du lecteur ; bientôt l’image apparaît. Quelques coupables. Des victimes, aussi. Des méthodes ; des corps qui se tordent sous la lumière verticale.

136 pages d’une intensité remarquable. Un véritable souffle inspiré par une ponctuation qui tient de l’audace, peut-être de l’impertinence, voire de l’erreur grammaticale ; mais aucune concession n’est faite au style qui jamais ne se prive de sa propre puissance. Un refrain singulier : le Nouveau Roman est ici sublimé. Un grand patchwork qui ne tient pas du hasard, et des descriptions chirurgicales de ces corps morts qui se languissent dans leurs cendres ou de ces corps vivants qui s’escaladent, se montent dessus, se mélangent et se touchent sur scène, devant des spectateurs aux yeux ébahis ; face au spectacle ils sont comme les lecteurs de Sirius, frappés par l’audace littéraire de Pierre Fankhauser.

David Campisi