Apprendre la terre
Comment découvrir le grain de la vie, sa véritable texture, lorsqu’on ne connaît que l’absolu des cieux? Comment apprendre le contingent, l’éphémère, le doute, l’amitié, les concessions? Comment donc apprécier les aspérités de ces corps mortels pétris par le temps alors qu’on a la surface lisse de l’éternité devant soi? C’est par amour pour Alcmène, une Thébaine des plus désirable, que Jupiter décide de goûter ainsi aux aléas épicés de la condition humaine. Pour avoir le champ libre, le dieu envoie donc Amphitryon, général des armées et mari de la belle, mener une guerre factice puis lui emprunte ses traits pour passer une nuit en compagnie de la mortelle de ses rêves.
Chez Jean Giraudoux, les divinités laissent en effet leur attirail pyrotechnique au placard et découvrent les nuances de la psychologie. Avec «Amphitryon 38», le dramaturge insuffle son humour subtil au mythe grec déjà revisité à de nombreuses reprises (par Molière et Kleist, entre autres) et confère à ses protagonistes une individualité propre, une épaisseur.
Dans sa mise en scène, Philippe Mentha a su trouver un équilibre entre le vaudeville, la métaphysique divine et l’éloge de l’amour. L’équipe de Kléber-Méleau nous offre là un spectacle agréable, dynamisé par Sophie Lukasik en Alcmène fine et pétillante.
Pierre Fankhauser
Lausanne, Théâtre Kléber-Méleau, jusqu’au 21 février. Du mardi au jeudi à 19 h, vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 17 h 30. Rens. (021) 625 84 29.