Saintes horreurs

Gilles de Rais (1404-1440), maréchal de France, compagnon de Jeanne d’Arc, homme pieux, guerrier courageux, amateur de jeunes garçons (vivants puis morts), modèle du personnage de Barbe-Bleue. L’errance de cette âme damnée autant que sainte sert d’ossature métaphysique à «La plaie et le couteau» d’Enzo Cormann. C’est à travers un langage droit et percutant, à la saveur médiévale ressuscitée, que le dramaturge français utilise l’histoire de ce psychopathe pervers et sensuel pour évoquer nos ambivalences contemporaines. La mise en scène de François Marin colle parfaitement au texte de Cormann. Elle restitue sa pureté effilée grâce à des décors sobres qui ne renvoient qu’à eux-mêmes, une direction d’acteurs énergique, une scénographie qui réalise l’adéquation du fond et de la forme. Un parterre de sièges occupe en effet le milieu de la salle: la pièce circule autour du spectateur, l’inscrit dans une position centrale, lui renvoie son propre regard. La fiction ne lui fait plus face, elle l’entoure, lui susurre que les murs du théâtre ne sont pas étanches au monde. Cette pièce questionne nos jugements à l’emporte-pièce en juxtaposant les extrêmes, interroge notre vision manichéenne de l’autre. Il est tellement plus reposant de répartir nos dégradés d’ombre entre les stars et les serial killers, entre l’enfer et le ciel. Pierre Fankhauser

Lausanne, Théâtre de l’Arsenic, jusqu’au 20 mars. Mardi, mercredi, et samedi 20 à 19h, jeudi, vendredi et samedi 13 à 20h30. Rens. (021) 625 11 36.